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par Yves Monin

(Copyright: ABC(Melbourne).Y.Monin)

 
   
   
 
Qui êtes vous Ned Kelly ?

Les aventures de Ned Kelly, et en particulier l’épisode final de ses aventures ne pouvaient qu’inspirer les scénaristes et les producteurs de cinéma. Après plusieurs pièces de théâtre, éditées ou inédites, après un symposium en 1967 organisé par le Centre d’enseignement pour adulte de Wangaratta, au cœur même du pays de Kelly, un film est en tournage.
            Le fameux cinéaste anglais Tony Richardson le tourne en ce moment avec Mick Jagger, le chanteur des Rolling Stones, dans le rôle principal. Les journaux en ont beaucoup parlé et de nombreuses personnes essayèrent d’approcher la vedette lors des scènes filmées dans l’ancienne prison de Melbourne, voici quelques jours.
            Un autre film, une superproduction même, s’intéresse aussi à Ned Kelly. Dino de Laurentis, le producteur italien bien connu, aurait choisi pour cela le metteur en scène anglais Peter Collinson.

            Pourquoi cet engouement pour Ned Kelly, alors que bien d’autres héros ou anti- héros peuplent le patrimoine australien : Cook, Flinder, Lawson, Jack Doolan pour n’en citer que quelques-uns ? Peut-être parce qu’il est très difficile à cataloguer nettement…
            Ned Kelly est certes un hors-la-loi, mais l’attitude du public, dans le passé comme aujourd’hui, n’est pas très certaine. Des prêtres le plaignaient et demandaient à leurs contemporains de penser à Ned, non avec colère mais avec pitié. Ce fut l’Archevêque de Moorhouse par exemple, ou le Révérend M. Gribble, un prêtre méthodiste qui, bien qu’emprisonné dans une petite ville de la Nouvelle Galles du Sud par le gang en question, salua Ned Kelly et lui souhaita une bonne journée après que celui-ci ait résisté à la tentation de l’humilier.

            Voici 90 ans que l’on écrit sur cet homme, que l’on rassemble des documents, des chansons, des ballades, et même des photos pour essayer de se faire une juste idée de sa personnalité…
       Voici 90 ans que cet homme est un héros ou un anti-héros national et certainement le plus célèbre de tous.
            Etait-il bon ? Etait-il mauvais ? Ne cherchait-il qu’à obtenir une juste vengeance ? Voulait-il simplement détruire toute forme d’ordre et de loi ? Etait-il chevaleresque, courtois, sincère, romantique et pur, au fond de lui-même, comme un Robin des Bois auquel certains veulent l’assimiler ? Ou était-il un être dangereux, un criminel qui s’attaqua même à ses amis ? Un homme qui voulait dominer un pays et y établir une nouvelle politique ? Un homme qui voulait simplement venger sa mère ?...

            C’est à ces questions que nous essayerons de répondre au cours des prochains jours en regardant évoluer Ned Kelly, son frère Dan et deux amis Joe Byrne et Steve Hart, de leur maison à une quarantaine de kilomètres au nord de Melbourne à la place de son exécution dans Melbourne même ; de 1854 à 1880, dates de sa naissance et de sa mort… Donc pendant 26 années seulement !…
            Nous suivrons ce gang dans la brousse du Victoria, dans les villes de Glenrowan, Benalla, Euroa, Beechworth et Mansfield, cette région que l’on appelle encore « la région des Kelly »…
            Nous le replacerons dans cette époque particulièrement importante de l’Australie, sur le plan économique.
            Et peut-être alors saurons-nous vraiment répondre à cette question :
Qui êtes vous Ned Kelly ?...

*****

            Nous allons aujourd’hui nous pencher sur le décor historique dans lequel évolua la bande célèbre de Ned Kelly pendant les 26 années seulement de son existence….
En effet, nombreux sont les partisans – ou plutôt les sympathisants- de ce hors-la-loi  qui affirment que son attitude, ses faits et gestes et ses méfaits sont absolument conditionnés par son époque et qu’il n’est donc pas coupable !

            C’était une période de développement urbain considérable et l’industrie s’y déployait rapidement. La centralisation des affaires amenait la construction des chemins de fer. Ces chemins de fer transformèrent le pays ; l’agriculture succéda à l’élevage. Le pays devenait de plus en plus prospère et c’était une source de bénéfice de se lancer dans l’agriculture. Le seul problème était pour les aventuriers de posséder un capital à investir…Et la famille Kelly ne l’avait pas.

            Weston Bate note ainsi : « Il est à l’image d’une phase de développement colonial, de la prise de possession des terres, de l’atmosphère d’énervement après la ruée vers l’or…On doit penser à cet homme en fonction de la liberté et de l’enivrement qu’il y a à monter à cheval, par contraste avec les mauvaises conditions dans lesquelles vivaient tant de personnes qui ne pouvaient pas voir d’issues à leur malheur. »
            Notons aussi que le système de centralisation enlevait beaucoup d’efficience à la police locale, et Ned Kelly sut en profiter…

            Maintenant que le cadre est posé, voyons l’homme. Né d’un ancien condamné irlandais et d’une émigrante, irlandaise aussi, Edward Kelly est sans doute né en décembre 1854 à une quarantaine de kilomètres au Nord de Melbourne. Cette famille et leurs parents passèrent pas mal de temps en prison ou en cour de justice et très tôt Ned Kelly dut les aider en faisant quelques vols à l’étalage ; entre autre. Il n’avait pas encore vingt ans qu’il était déjà accusé de vol à main armé et même condamné à six mois de prison pour une autre attaque et pour conduite indécente. Pendant 3 ans, il vécut respectablement, travailla jusqu’en 1878, l’année clé de la vie de Ned Kelly.
            Cette période cruciale, nous l’étudierons dans notre prochaine causerie…
       Voyons pour terminer, le portrait physique de cet homme qui marqua son époque et qui finit pendu dans la vieille prison de Melbourne ; cet homme dont le crâne, détail macabre et peu glorieux, servit, paraît-il, de presse-papier dans une petite administration publique.
On le décrit comme un homme sec et osseux. Quant aux photos ou aux portraits qu’on a de lui, ils montrent un regard métallique et peut-être sournois. Les sourcils sont épais, la bouche mince est entourée d’une barbe que certaines photos retouchées allongent pour lui donner l’ai plus terrible et effrayer sans doute la population qui était loin de lui être toujours hostile…


*****

Voyons, aujourd’hui, ce qui advint à Ned Kelly et sa bande en cette fameuse année 1878 dont nous parlions la dernière fois et en ces autres années qui précédèrent sa condamnation à mort.
            En cette année 78, en Avril, pour être exact, un policier, sans doute pour donner un exemple, essaya d’arrêter le jeune frère de Ned Kelly, Dan, chez lui. Il sortit de la maison quelque temps après et raconta partout qu’il avait été attaqué et que Ned Kelly lui avait tiré un coup de feu dans le poignet après une dispute au sujet de vol de chevaux...
Personne ne sait encore, aujourd’hui, la vérité. Mais il est un fait certain et important : la mère de Ned, qui avait apparemment frappé ce policier Fitzpatr (ol ?), avec une pelle ou un balai, fut emprisonnée pendant 3 ans. D’après certains, cependant, le policier aurait senti très fortement l’alcool…

            Ned ne se trouvait pas dans le cottage à ce moment-là ; mais on l’accusa et on se lança à sa poursuite. Furieux contre cette arrestation, les deux frères prirent le maquis dans les Wombats Ranges, à une trentaine de kilomètres de Mansfield. Steve Hart, un jockey amateur et Joe Byrne, le fils d’un chercheur d’or, tous deux âgés d’une vingtaine d’années et recherchés par la police, les rejoignirent. Des 4 policiers qui les retrouvèrent, un seul revint…
 Le gouvernement de l’Etat de Victoria déclara ce gang « hors la loi » et 200 policiers furent mobilisés pour une chasse à l’homme historique. En vain !…  Ces hors la loi étaient de très bon cavaliers : ils connaissaient le bush parfaitement et avaient la sympathie de nombreux habitants qui les avertissaient des allées et venues de la police.

            En décembre 78, ils sortirent du bush pour cambrioler une banque à Euroa ; en février 79, ils enferment les policiers dans leur propre prison, revêtent leurs habits, cambriolent une autre banque, puis redisparaîssent dans le bush pendant 16 mois. Puis, un dimanche, à Glenrowan, le gang enferme les 60 habitants dans le pub-hôtel local, forcent des ouvriers à enlever quelques rails de la voie ferrée que devait emprunter un convoi de policiers de Melbourne. Un instituteur parvint à s’échapper et à arrêter le train.
L’attaque a eu lieu à l’hôtel. D’un côté la police et les habitants ; de l’autre, à découvert, Ned Kelly et sa bande. A découvert mais revêtus d’armures faites de socs de charrue !
            Ned Kelly fut blessé vingt-huit fois, paraît-il ; aux jambes, celles-ci n’étant pas protégées.
Seul survivant de sa bande, Ned Kelly fut capturé, soigné, jugé puis condamné à mort.
            Le 1er novembre 1880, à l’âge de 25 ans, Ned Kelly fut pendu au gibet de l’ancienne prison de Melbourne. Ses dernières paroles furent : « C’est la vie »…

            Pourquoi est-il devenu un héros légendaire ?
Sans doute parce que différents éléments et anecdotes le montrent tour à tour bon et mauvais, donc humain…
Peut-être parce que, comme le suggèrent certains, tous ses crimes ne furent commis que pour venger sa mère…
Ou peut-être parce que, comme concluaient les professeur Manning Clarke et Weston Bate, lors du symposium de 1967 :
« C’était un homme exceptionnel. Il eut pu être fameux au lieu d’être infâme. Bien sûr », continue Weston Bate, « je ne veux pas que vous croyiez que je pardonne ce qu’il a fait. Mais ce fut une grande réalisation… Et à ceux qui étaient plus faibles que lui, à ceux qui évitèrent de protester par peur du gibet, on peut pardonner de l’avoir fait entrer dans la Légende »...