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par Yves Monin

(Copyright: ABC(Melbourne).Y.Monin)

 
   
   
 
Que d'Histoires



Que d’histoires dans le bush plein de poussière !…
Des histoires d’arrogance, d’aventures extraordinaires, de mouches et de moustiques !...
Que d’histoires, en traversant l’Australie jusqu’à la petite île de Bribie, sur la côte fertile du Queensland, en passant par le désert immense et silencieux, piqué ça et là d’un campement aborigène… Que d’histoires en traversant les plantations et les ranchs !...

L’une d’entre elles, un dénommé Joe la racontait dans un hotel, c’est-à-dire un pub, un café… Avec le plus grand sérieux !... Et personne n’aurait osé mettre sa parole en doute quand il déclara que ce qu’il affirmait était véridique : nous étions au milieu du bush, là où ne parvient pas encore la télévision, là où les conteurs, même ceux qui exagèrent, sont des rois précieusement révérés ! Ecoutez-le :

« La voiture était en panne, ce matin-là… Une pièce avait claqué… Et le plus proche garage se trouvait à Seaford, à 50 Kms de là ; alors on a décidé, Malcom et moi, de prendre les chevaux et de nous y rendre ! On aurait bien du prendre aussi de ces chapeaux entourés de bouchons suspendus à des bouts de fil comme presque tout le monde en portait il y a quelques années ! Ca aurait au moins tenu ces fichues mouches à l’écart ! Elles nous ont poursuivis toute la journée… et elles piquaient durs, les vaches !... Mais ce ne fut pas cela qui nous ennuya le plus !...

Juste après Halsey Creek, Malcom et moi, nous décidâmes de bivouaquer ; on partirait très tôt le lendemain matin pour avoir la paix : les mouches se lèvent tard dans la région. Il y avait un peu d’eau dans cette rivière, mais on ne put même pas se baigner, car dix minutes après notre arrivée, tous les moustiques des alentours s’étaient passé le mot : « De la chair humaine bien chaude vient d’arriver à Halsey Creek ; venez vite ! Les premiers arrivés seront les mieux servis ! »… Et de rappliquer par centaines… Ils faisaient autant de bruit que Lady Melba, mais c’était moins varié !

Heureusement, Halsey Creek avait servi jadis à des prospecteurs d’or, et ils avaient abandonné une espèce de citerne de fer passablement rouillée, certes, mais qui fut la bienvenue : Malcom et moi avons sauté dedans et placé une lourde plaque de métal par-dessus. Il faisait chaud à l’intérieur, mais on pouvait dormir en paix !

C’est du moins ce que nous avons cru ! Mais au beau milieu de la nuit, je me réveille en sursaut : mon bras et ma jambe sont piqués par les moustiques et Malcom peste lui-même contre ces bestioles… Savez-vous ce qu’elles avaient fait, les cochonnes ? Elles avaient percé les parois de notre citerne juste au niveau de nos corps et nous piquaient à qui mieux-mieux avec leurs méchants aiguillons…

J’ai eu alors une fameuse idée ! J’ai saisi ces aiguillons qui pointaient vers nous et, un à un, je leur ai fait un nœud ! Ainsi impossible, pour les moustiques, de se retirer et, trop occupés à se sortir de cette sale situation, ils ne songeaient plus à nous piquer ! Et puis, un nœud à l’aiguillon ne facilitait sans doute guère la chose !

Nous nous sommes rendormis calmement jusqu’au petit matin… Et alors, là, c’était le bouquet ! Nous avions de l’eau jusqu’au ventre !... Et il ne nous fallut pas longtemps pour comprendre !... Ah ! ces cochons de moustiques ! Ils avaient réussi à s’envoler, avec leurs aiguillons toujours prisonniers de la citerne… et avaient transporté cette dernière, avec nous dedans, jusqu’à la rivière ! Là, ils l’avaient déposée à l’endroit le plus profond… et l’eau avait pénétré par les trous qu’ils avaient percé la veille avec leurs aiguillons !

Ah ! On s’en souviendra, Malcom et moi, des moustiques de Halsey Creek ! Ils ont bien failli nous noyer ! »...

Quittons le bush encore hospitalier pour les grandes étendues désertiques où vivent les aborigènes, sous un soleil de plomb, avec ça et là quelque billabong, un minuscule trou d’eau qui peut, du jour au lendemain, devenir complètement sec.

Cette histoire est très, très ancienne, mais on la raconte encore de nos jours… et Goobalathuldin, un aborigène des alentours de Cairns a établi le trait d’union entre sa tribu et moi-même, comme je vais à mon tour l’établir entre vous et moi, pour en perpétuer le souvenir…

« Il y a bien longtemps, l’Emeu, ce grand oiseau qui ressemble à une autruche, vivait calmement dans la région semi-désertique de Nullabelaluba… et allait souvent rendre visite à la Dinde qui, bien que beaucoup plus petite qu’elle, s’avérait une agréable voisine…

Mais je ne sais ce qui lui prit, un jour, à cet Emeu-femelle… Peut-être un coup de soleil l’avait-il rendu méchante ? Peut-être se faisait-elle vieille et devenait-elle amère ? Peut-être s’ennuyait-elle ? Toujours est-il qu’elle décide d’aller voir la Dinde et de lui jouer ce qu’elle pense être un bon tour…

« Venez écouter votre mère, mes enfants », lance-t-elle avant de partir… « Vous allez être bien obéissants et faire ce que je vous dis… Vous voyez ces hautes herbes, là-bas ?... Allez vous cacher au milieu ! Il ne faudra pas en sortir de la journée… Sous aucun prétexte !... Non ! Vous deux, vous allez rester avec moi… ».

Cette femelle Emeu avait une très grande famille : une bonne dizaine d’enfants… Tous, sauf deux, suivirent donc le conseil de leur mère et se dissimulèrent derrière les hautes herbes, pas très loin de leur maison… et Madame Emeu, escortée de deux enfants seulement, se rendit chez la Dinde…

« Quelle vie !... », pleurnichait cette dernière. « Il fait si sec ces jours-ci que je n’ai rien trouvé à manger, et mes enfants ont une faim de dingo ! »
« Oh ! Je le sais… », rétorqua l’Emeu. « Je suis dans le même cas que vous, Madame la Dinde ; et c’est pour cela que vous ne voyez que deux de mes enfants aujourd’hui ! Nous avons mangé les autres, ne trouvant aucun ver de terre, aucune racine, aucune feuille à nous mettre sous le bec ! Vous devriez en faire autant ! », ajouta-t-elle pernicieusement…

La Dinde n’était pas très maline ; elle regarda autour de la maison de l’Emeu, ne vit pas ses enfants… Et elle avait trop faim sans doute pour chercher plus loin ou penser plus clairement. Elle suivit l’affreux conseil de l’Emeu, dévora tous ses enfants sauf deux…

Mais le lendemain, lorsqu’elle aperçut tous les petits de l’Emeu en train de sortir de derrière les herbes où ils s’étaient cachés, elle entra dans une rage bien compréhensible !

« Je me vengerai », murmura-t-elle entre les deux lames de son bec.

Et elle se vengea dès la semaine suivante.

Elle avait fait cuire quelques racines et quelques légumes dans le petit feu de bois que tous les animaux savaient allumer, à cette époque ; mais, ensuite, elle fit un trou dans le sable, y enfouit les braises et les bouts de bois encore brûlants, et recouvrit le tout avec un peu de sable. Plus la moindre trace de foyer ! C’est ce qui étonna Madame Emeu lorsqu’elle passa près de là…

« Comment avez-vous pu faire cuire vos racines et vos légumes sans allumer de feu ?», demanda-t-elle.

« Mais c’est très simple », répondit la Dinde en riant sous cape… « Désormais, pour aller plus vite et faire des économies, je fais du feu directement sur mes ailes et place ce que je veux cuire par-dessus… Vous devriez bien en faire autant ! »…

L’Emeu retourna chez elle… et suivit les conseils de la Dinde. Bien entendu, ce qui devait arriver arriva : elle se brûla les ailes !…

C’est pour cela que depuis ce jour l’Emeu n’a plus d’ailes mais beaucoup d’enfants, tandis que la Dinde, qui a des ailes, n’a qu’une portée de deux petits… »

Quant à cette autre histoire, le journal du Queensland, qui la relata à l’époque, assure qu’elle est véridique !

Imaginez une île minuscule, très calme… Puis, pendant les week-ends, des hordes et des hordes de touristes presque tous identiques… Mêmes petits chapeaux de toile, mêmes shorts, mêmes chemises… et surtout mêmes cannes à pêche !

Car c’est le lieu de prédilection des pêcheurs de tout l’état et d’ailleurs, cette île de Bribie !...
Notre personnage n’est pas un pêcheur endurci ! Il a simplement décidé, pendant ses rêveries de la semaine, de le devenir… et de venir ici…
Il a payé fort cher un fort bel attirail de parfait pêcheur à la ligne, et le voilà qui lance maintenant son fil et son bouchon depuis la jetée de bois…

Des dizaines d’autres pêcheurs, agglutinés depuis trois ou quatre heures du matin, fixent leurs bouchons…

Et aussitôt :

« Quelle chance ! », s’écrit notre apprenti-pêcheur ; « Le bouchon s’est enfoncé dans l’eau limpide… Et ce doit être une grosse prise, car impossible de la remonter ! »…

« Votre hameçon s’est accroché au ponton ! » ricane un vieux pêcheur. « Mettez-vous en maillot de bain et allez donc le décrocher ! »

Un peu dépité, notre pêcheur de week-end suit ce conseil,… tandis qu’au-dessus de lui fusent conseils et quolibets.

Et soudain, c’est le coup de théâtre : la canne à pêche, dans les mains d’un autre pêcheur qui l’aide d’en haut, la canne à pêche se détend… et une petite pieuvre jaillit de l’eau, atteint la jetée et paf !... atterrit sur un chapeau : le chapeau tout neuf d’une touriste trop curieuse… et de très mauvais caractère !

S’il faut en croire le journal, elle voulut se faire rembourser ce chapeau que la pieuvre ne désirait plus lâcher… et elle hurla si fort que notre pêcheur abandonna sa ligne et l’île, se jurant bien de ne plus s’adonner, de sa vie, à ce sport trop mouvementé !...